Questions de la galerie Laurent Godin à l'occasion de l'exposition Quoi fabrique qui? En 2019

1 - Puisque tout le monde est artiste, pour qui faites-vous de l’art ?

Pour quiconque susceptible d'apprécier l’art…
Sûrement pas pour quelqu’un de particulier.
Mais je devrais dire que je le fais pour moi surtout, car c’est la seule voie que j’ai pu trouver
afin d'échapper un tant soit peu au conformisme stérile du mode de vie auquel j’étais
initialement destinée. Cela dit le plus dur reste toujours de ne pas se laisser enfermer
par ses propres certitudes, habitudes et automatismes tout au long de la vie.

2 – Mais qui est ce (putain de) Joseph Beuys ?

Quelqu’un d'assez génial et probablement assez cinglé pour revendiquer haut et fort que l’art
et la créativité devraient être les préoccupations essentielles de l’humanité, que l’art devrait
être considéré comme la « graisse » de toute structure sociale.
Quelqu'un capable de joindre pratique artistique et activisme politique au sein d'un parti
initiateur de la cause environnementale.
Un modèle pour une démonstration concrète « d’Art Total ».
Par chance je suis tombée sur le documentaire Beuys du réalisateur Andres Veiel,
quand je suis arrivée dans ma chambre d’hôtel au Havre en Octobre 2018.
Comme j'étais là pour installer mon exposition au Centre d'Art Le Portique,
j'ai saisi cette coïncidence pour évoquer l'engagement hors norme du créateur
du concept de « sculpture sociale », dont le travail était omniprésent
et toujours très influent quand j’ai commencé mes études en Ecole d'Art en France en 1987.

3 – Êtes-vous amis sur Facebook ou Instagram ?

Désolée, ces réseaux sociaux décidément, ce n'est pas pour moi !

………

Norbert Duffort à propos de Un choix de sculpture.
Collégiale Saint-Martin d'Anger, 2017

Au-delà des notions propres à la sculpture, Delphine Coindet pose la relation entre la réalité
physique de l’œuvre et son contexte comme fondement de l’imaginaire.
Ici, commissaire et scénographe, elle élargit la posture de l’artiste à l’ensemble du process
de l’œuvre, de la conception à la monstration ; comme elle aime à le faire.
Plutôt que déconstruire les acquis de son travail, elle les mets à distance et en question
par la confrontation avec d’autres contextes et d’autres œuvres ; ainsi s’impose une économie
liée à une croissante conscience des moyens et des ressources (tant matérielles qu'historiques),
pour exister parmi les autres.

Certes, l’architecture de la Collégiale, comme la plupart des travaux de l’artiste et des œuvres
conviées, questionnent le volume et l’espace. Delphine Coindet elle-même appelle l’attention
sur la capacité de l’œuvre à désigner son « espace autour ».

Et pourtant, ce lieu devenu exposition, mène vers une autre dimension.
Tant par sa structure que par la diversité des matériaux employés au cours des âges,
le monument livre une stratification archéologique remarquable.
L’artiste y répond par un ensemble de propositions dont on peut retenir 3 lignes forces :
le symbole, la métaphore et la narration.
Les Cordes (codes) - couleurs ne s’élèvent que pour retomber, les Vitraux ne sont que d’appoint
et les Décors affichent une vocation modulable.
Chemin de lumière (Gina Pane) vers une présence vivante ou supposée (David Medalla) via
une impossible parole (Dominique Blais) et une architecture éphémère (Prismes); eau qui sourd
de la terre (Los Carpinteros).

Peu à peu, le va et vient entre architecture et œuvres mêle le temps historique au temps
de la visite ; rapport du temps au temps pour un effacement de toute chronologie.
Comme il a commencé, ce « Choix» s’achève avec Palimpseste. Par la peinture, et donc la couleur,
l’artiste change le support en sculpture ; dripping pour un reliquaire médiéval, afin que contenu et contenant ne fassent plus qu’un.
Par cette posture radicale et modeste à la fois, nourrie aux acquis de la modernité et à sa nécessaire
mise en question pour faire face à des lendemains improbables, Delphine Coindet substitue au temps
mesuré, le croisement du temps de son œuvre et de celui du regardeur. Résolument, elle raconte ici
une histoire, son histoire de fabricante déterminée d’objets innommables ; son exigence d’être,
malgré tout, au monde.

Au terme de ce « Choix de sculpture », ne sachant plus où « trouver » le temps, on en appelle
à Jimmie DURHAM et à son oeuvre Weeks and hours and similar divisions are human inventions (2007).

Le temps comme pure fiction.

Attachements

Galerie Laurent Godin II

36bis rue Eugène Oudiné

du 23 Février au 22 avril 2017

Texte de Julie Portier

Le titre pourrait désigner le principe de fixation par lequel tout peut tenir ensemble – et déjà la raison technique et la fonction allégorique se suffiraient-elles d’un unique énoncé. Selon des règles provisoires, par des équilibres contingents, s’appuyant sur des cales molles, se fiant à son élasticité, ça tient ; malgré son empirisme, malgré la précipitation, malgré l’absence de virilité, malgré tout, ça tient. Ça résiste, même, aux vents dominants, à la gravité, au défaitisme. Ça résiste aussi au conseil bienveillant asséné par une société néolibérale qui doit son argument philosophique à un coaching en développement personnel, vaguement orientaliste, soit la tyrannie du « détachement ».

La scène suivante est un flashback, ou quelque chose de plus violent, au moins dans les mots, une défragmentation du disque – peut-être à la hache. Comment s’arrêter sur ce qui est, alors que jamais le travail ne cesse ? Comment relire le passé alors que le présent brûle, et que le caractère raisonné des catalogues est assommant ? Le décor se présente ainsi : une architecture d’urgence entourée de flammes.

Mais cette chimère d’insurrection dans l’espace de la Galerie Laurent Godin (II), plutôt qu’un assaut grillagé, y installe une grille de lecture. Par des moyens réduits à l’extrême, cette ossature souligne des arêtes saillantes ; elle dégage des lignes claires agrégées de nébuleuses qui bientôt dessinent un cosmos rustique, une matrice de presque rien qui embrasse tout. Si c’était une structure littéraire, elle soutiendrait le projet d’une autobiographie dont la forme serait à même de rendre compte des événements autant que de la texture des années , qui intégrerait l’extérieur et le collectif au je intime, de sorte que les êtres et les choses, la politique et la météo, la raison d’être et de faire ne composeraient qu’un seul récit. Plutôt qu’une barricade, le geste, toujours précis, dresserait là une structure synthétique et défensive contre la simplification ou, sous un jour plus festif, un chapiteau en l’honneur de la complexité, abritant les grands écarts de style et de méthode qui rendent le tout « autoportant ».

On a déjà vu les grandes sculptures usinées cohabiter avec les assemblages spontanés faits de carton, de tulle et d’os. Mais ici leur présence – qui use de diverses tactiques d’incarnation, personnification (du parallélépipède), métonymie, ou carrément relique – se doublerait par la figuration de leur propre rôle dans un scénario aussi rétrospectif qu’ouvert à toutes les hypothèses de recomposition du sens et des morceaux. Il suppose toutefois de reconnaître le lien de conséquence et de complémentarité qui lie le concept à l’expression, les surfaces lisses aux carapaces rugueuses, et la pensée aux affects. Car tout est lié et l’on finit par s’attacher à tout – même aux animaux stupides et aux idéaux épuisés – tandis que l’artiste ne lâche rien.

Cette humeur est à demi feinte dans ces dramatiques simulacres de flammes, évoquant la pompe d’un décor baroque autant que les dernières survivances des fêtes païennes. Cette ardeur stylisée pourrait se lire comme une confidence à l’endroit du travail, dont on saisit la métaphore en même temps que l’on passe dans sa réalité matérielle, et qui vaut de déployer tant d’énergie en ironisant déjà sur le risque d’un retournement de situation. Depuis longtemps, la sculpture pare à l’imprévu en avançant une stratégie de l’ambivalence (et une certaine désinvolture) qui se révèle souvent avec sa valeur d’usage : quelque part, sur la flamme, un livre est posé à califourchon, comme si la lecture interrompue restait sur le qui-vive, à l’image du repos des cow-boys.

J.P.

1 Pendant la préparation de cette exposition, nous partagions la lecture d’Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008.

* *

*

Questions de Isabelle Reiher, directrice du CIRVA, à Delphine Coindet

Février 2015

On retrouve presque toujours dans ton travail une forme de théâtralité qui se manifeste par un goût pour le décor, l’exagération des formes, une sorte d’ultra réalisme qui provoque un sentiment de fiction et d’artifice. Est-ce que ces considérations sont encore importantes dans ton travail et comment sont-elles susceptibles d’évoluer ?

La scène de théâtre peut s’envisager comme une cosmogonie du monde vu à travers des strates verticales, soient plusieurs plans qui se succèdent les uns derrière les autres, des protagonistes aux coulisses. Cependant, autant le théâtre impose une distance physique autant l’espace de la sculpture permet de saisir ces strates sous toutes leur facettes. De voir littéralement ce qui se passe derrière. Ces notions s’expriment dans mon travail par le biais de diverses stratégies d’exposition conçues comme des mises en scène ouvertes, de collages, de juxtapositions de matériaux et de techniques hétérogènes.

Il semblerait que les motifs ou détails du décor sont toujours les indices de notre réalité environnantes et qu’ils nous informent sur ces composantes intrinsèques même.

Ainsi j’essaie de démontrer l’artificialité de toute tentative de toute représentation en voulant rendre toujours plus tangible la puissance illusionniste qu’elle implique.

//Lors d’une conversation, tu m’as dit un jour que les problématiques du design t’intéressaient de plus en plus et que tu intégrais une forme de dialectique art/design ou art/objet dans ton travail. Est-ce que tu pourrais approfondir cette question qui paraît d’autant plus importante dans le travail que tu mènes au Cirva ?

Si le projet moderniste d’émancipation de l’individu grâce à l’art semble avoir échoué entre les mains de Ikea d’une part, et des foires de l’art de l’autre, je continue de croire au pouvoir transitionnel des objets et à leur portée émotionnelle, transgressive et symbolique. Je crois aussi que l’adéquation entre le processus de fabrication et sa forme aboutie est pour beaucoup dans la pertinence et la singularité d’un objet.

En ceci l’art peut se distinguer du design qui, en règle générale et même si cette discipline est en train d’évoluer vers d’autres alternatives, est censé adhérer aux contraintes d’une production industrielle à des coûts de fabrication modérés.

Mais si le design m’intéresse c’est moins pour sa capacité de production et de diffusion à grande échelle que pour cette fonction symbolique des objets qu’il étudie et l’endroit de l’espace domestique qu’il occupe. Car bien plus que l’espace d’exposition, c’est l’espace domestique qui façonne nos vies, parce depuis l’invention de l’imprimerie, cet espace (soit disant) privé est plus que jamais poreux au monde qui nous entoure. Comme l’augurent les célèbres collages de Richard Hamilton en 1956 : 'Just what is it that makes today's homes so different, so appealing?…

Nos intérieurs ne sont ils pas totalement les reflets pour ne pas dire les produits de notre monde global ?

Pour moi, depuis le pop art et l’architecture radicale, mouvements auxquels je me suis souvent référé, c’est une suite logique donc, le design, l’architecture…

Par ailleurs, réfléchir en terme de design c’est se confronter franchement aux problématiques du marché, aux questions de diffusions, de marketing, comme à une (é)preuve de réalité incontournable.

Je peux peut-être préciser que mon intrusion dans le monde du design avec Vladimir Boson et Le Pecker Molleton Set par exemple, reste très confidentielle et surtout très artisanale, c’est à dire produite avec une forte exigence sur la qualité des matériaux et la maitrise du savoir faire manuel…

Cette nouvelle production avec le Cirva, m’a donc donné envie de travailler sur un ensemble d’objets manifestant une ambivalence décisive entre objet d’art et objets d’usages. Miroirs, vases, Chapeaux, portes manteaux sont avant tout supports de représentations. (A noter que le chapeau melon est une référence explicite à Magritte et aux films de Hans Richter bien-sûr… Et a Dupont et Dupont également).

J’ai voulu nommer l’exposition qui en résultera au Credac, « Modes et usages de l’art » pour justement revenir à la question de la fonction de l’art, en passant par le design peut-être, sachant que à travers cet intitulé, j’espère faire résonner aussi les « modes de l’art » de l’artisan sans qui, une artiste ou designer telle que moi n’est rien !

///On dit souvent que tu as volontiers recours aux techniques de modélisation 3D dans l’élaboration de tes projets. Est-ce que cela est toujours valable dans ton travail aujourd’hui et est-ce que ces techniques ont pu te servir pour le travail réalisé au Cirva et pour le Credac ?

Oui je me sers toujours de ces logiciels pour concevoir, visualiser la plupart de mes projets mais dans le cas de la collaboration avec le Cirva, il n’y a eu que des dessins préparatoires sur des carnets de croquis. Je ne voulais pas faire exécuter une forme préconçue mais travailler « sur le vif » directement, avec la réalité de l’atelier et des visions de couleurs en transparence que je portais avec moi. D’ailleurs le moule que nous avons utilisé dès le début faisait partie du matériel inexploité de l’atelier. Belle coïncidence, il ressemblait aux formes de mes dessins préparatoires, des espèces de clepsydres prismatiques.

////Dans le cadre de ton travail au Cirva et pour le Credac, tu as souhaité simplifier au maximum la forme. Pourrais-tu nous dire pourquoi et au profit de quoi tu as fait ce choix ?

Comme je le dis juste avant, j’ai moins pensé à la forme elle-même qu’à ces conditions matérielles de production.

Comme je n’en avais jamais fait l’expérience auparavant, l’absolu du travail du verre était basé pour moi sur le souffle, la couleur et la transparence.

Il me suffisait de trouver un prétexte comme ce moule pour explorer cette articulation.

Plus tard est venue l’idée des chapeaux melons comme un contrepoint aux objets modulaires, moulés, colorés et surnuméraires, il fallait quelques exemplaires de ces objets virtuosement modelés par les souffleurs, noirs, figuratifs et indubitablement vidés de leur fonction d’usage mais au combien emblématiques.

/////Concernant l’installation composée de multiples polyèdres de verre identiques, peut-il y avoir une autonomie de l’objet unique, y a-t-il autant de variations possibles que d’éléments ou est-ce que tu penses à un protocole très formel et précis qui accompagne la présentation ?

Si l’on considère, comme il m’amuse de le faire, ces modules comme une population, puisqu’ils sont tous différents tout en étant issus du même moule, alors il y aurait naturellement des groupes, des associations, des couples, des familles… Et des individus solitaires…

Le moment du montage au Credac sera décisif pour rendre visible ces ensembles de différentes échelles. J’ai pensé faire réaliser des plateaux de formats divers qui

serviront à les disposer, superposer et les répartir dans l’espace afin de nous donner la possibilité de glisser, dans l’idéal, du format domestique à celui architectural.

//////Est-ce que le fait d’être invité au Cirva pour préparer une exposition prévue un an et demi après au Credac à Ivry-sur-Seine a été pour toi plutôt un élément facilitateur ou plutôt au contraire une contrainte et une complication pour penser le travail du verre ?

Ca a été surtout une opportunité exceptionnelle pour l’enrichissement de ma pratique, à laquelle je n’aurais jamais songé si elle ne m’avait pas été si judicieusement et à point nommé proposée (pendant que je séjournais à Rome)!

///////A l’issue de plus d’un an de travail en collaboration avec des artisans verriers, pourrais-tu nous dire si ce matériau apporte (ou pas) une dimension nouvelle dans ton travail ?

Comme je le disais précédemment, ce fut un enrichissement pour moi en terme de connaissance des matériaux et de coopération avec les savoir-faire. Au sein de ma pratique, le verre s’ajoute désormais à un éventail des possibles que j’aimerais ne jamais voir cesser de s’élargir.

Présentation de la démarche

Extrait d’un entretien avec Lise Guéhenneux

(novembre 2012)

(Versione italiana sotto)

Après une résidence à la Villa Médicis à Rome, Delphine Coindet revient sur sa pratique, son projet le Partage des pouvoirs et sur le Podium Médicis, une sculpture praticable déterminant une sorte de parcours avec des rencontres comme celles de l’écrivain libertaire Narcisse Praz auquel elle emprunte son alphabet anarchiste au fil d’un calendrier de poèmes acrostiches. On voit ici s’établir une filiation débutant avec les avant-gardes du début du XXe siècle jusqu’à celles des années 1970, avec notamment, le travail de Guy de Cointet.

LG

Ton projet Périmètre étendu, issu du Partage des pouvoirs et du Podium Medicis, et exposé à la galerie Art et Essai à l’Université de Rennes 2, semble incarner précisément des choses de l’ordre de l’utopie, du politique. Comment vois-tu ton travail aujourd’hui ?

DC

La part textuelle, poétique, littéraire est aujourd’hui plus présente. Mais les débuts de mon travail sont quand même liés à une expérience d’ordre sémiologique. La relation forme, texte, image, imaginaire, a toujours été importante, il y a constamment un lien conscient entre la chose que l’on représente, la chose que l’on nomme, la chose que l’on entend, la chose que l’on voit. Mais désormais, ma méthode est devenue plus complexe parce que ce qui est visible n’est plus seulement le dessin puis la réalisation, mais aussi ce qui arrive entre les deux.

LG

C’est-à-dire ?

DC

Aujourd’hui je travaille à partir d’un vocabulaire qui est déjà présent, pour le développer. Il y a également une logique de l’atelier traditionnel qui se présente maintenant. Ce qui fait que je me sens davantage libre dans un rapport aux choses plus immédiat, spontané voire accidentel. Les objets que je dessinais et fabriquais, je les collecte directement. Et souvent ce ne sont pas que des objets, mais aussi des personnes et des rencontres qui nourrissent le travail. C’est comme si les formes qui sont définies au départ finissaient par constituer une vaste structure sur laquelle viennent s’agglomérer des circonstances, des situations, des histoires… Comme avec cette pièce assez emblématique intitulée Cosmos (2009), qui est une structure en bois sur laquelle sont posées des rames et des boules de bowling. En fait, il y a toujours la définition d’un cadre, à l’intérieur duquel tout peut éventuellement arriver. Donc, la définition du cadre va faire aussi qu’un certain type de choses vont visiblement se produire, mais on ne sait pas quoi à l’avance, comme le scientifique qui regarde une culture sur une plaquette au microscope. J’extrapole mais il y a une analogie. En fait ce qui se complexifie surtout au fil du temps, c’est une méthodologie basée toujours plus sur l’observation et peut-être un peu moins sur la production.

LG

Et cette rencontre avec un poète libertaire ? Cela vient de ce que tu vis ?

DC

Il y a tout un enchaînement de choses parce que lorsque je suis partie m’installer à Lausanne (en 2006), outre l’atelier il y avait aussi le centre d’art Circuit qui est aussi devenu une extension de ma pratique artistique. C’était travailler comme commissaire d’exposition et rencontrer, du coup, des problématiques liées à celle de la communauté artistique. Et comment une œuvre d’art qui est toujours dépendante du contexte qui l’environne existe par rapport à d’autres œuvres d’art qui se fabriquent autour. Pour moi, la question du positionnement au sein d’une communauté artistique a toujours été fondamentale, mais je ne l’avais encore jamais expérimentée pratiquement, concrètement comme à Circuit (Sweet and Extra Dry, 2007, Scintille, 2009, Tempodrome, 2010…). La communauté d’artistes est un microcosme de la vie en société bien-sûr, mais depuis là j’ai pu réfléchir différemment à comment s’impliquer, comment s’organiser sans nécessairement reproduire le modèle de la société dans laquelle nous vivons. Par ailleurs il y a une culture des groupements libertaires et anarchistes très prégnante en Suisse qui m’a conduite à croiser divers acteurs de cette scène, comme l’artiste Balthazar Lovay grâce à qui j’ai pu rencontrer Narcisse Praz. J’ai donc décidé de l’interroger de vive voix avec l’équipe des étudiants de Rennes 2 au sujet de l’anarchisme. L’exposition Périmètre étendu était l’occasion de rendre visibles ces choses a priori extérieures au travail, mais qui finissent par le construire intrinsèquement.

LG

Les sculptures étaient plus chargées ?

DC

Sous l’emprise de stupéfiants tu veux dire !!? Possible mais plus sérieusement il faut dire que dans les années 1990, j’avais une vision assez simpliste de comment on fait de l’art, c’est à dire, on dessine et on produit. Au bout d’un moment tu t’aperçois que ce n’est pas ça. Si on produit, c’est parce qu’il faut déjà trouver les moyens de produire et par conséquent vivre d’une certaine manière. Et revenir à des problèmes pratiques qui sont quand même plus lourds avec la sculpture que pour d’autres supports. Tu es toujours lié à un contexte, à des conditions économiques. Tu es obligé de te poser la question de ce qui fait exister le travail. Si je reste dans cette idée de dessiner/fabriquer, cela ne va pas, la réalité est plus complexe, je suis frustrée. Donc je ne peux pas dessiner/produire, mais ce n’est pas forcément produire et vivre, c’est faire un dessin de sa vie, en inventer l’histoire, en écrire le scénario. C’est construire à tous les niveaux, et les sculptures doivent finir par rendre compte de tout cela.

Là, par exemple, c’est faire une intervention sur la couleur à des étudiants. La couleur est centrale dans mon travail, construire avec la couleur, avec la sensation de la couleur, avec la profondeur de champ et d’espace mais aussi de trouble visuel que cela induit. Et pour revenir à l’histoire de comment tu t’engages dans l’art je voulais aussi montrer à ces étudiants un documentaire sur Max Bill (Max Bill, Un regard absolu par Erich Schmidt) où tu vois bien qu’il n’y a pas de différence entre ce qu’il dit et ce qu’il est. Il a été professeur, directeur d’une école d’art. Il y a cet art concret censé changer le monde parce qu’il était lié à l’histoire du Bauhaus […] L’histoire de son œuvre dit cela : il n’y a pas de distance entre ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il produit, tout est imbriqué et il n’y a pas de gestes gratuits. Voilà l’enjeu. Les questions que tu te poses, qui ont l’air purement rétiniennes, rejoignent des questions politiques, économiques, parce qu’entre les deux, tu dois trouver les moyens de faire les choses et donc faire certains choix qui t’inscrivent dans le monde d’une manière particulière. Pour revenir à la couleur, il y a tout un imaginaire qui rend compte d’un état politique parce que nos perceptions colorées et nos goûts sont quasiment toujours fondés sur des questions d’organisation économique et sociale. Ce qui est intéressant, c’est de démêler ces fils afin de défaire les préjugés et les habitudes. Aujourd’hui on peut peut-être parler d’une forme « d’anarchisme » présent dans mes dernières constructions, dans une tentative de mettre les choses en rapport sans hiérarchie et sans a priori : un matériau ne vaut pas plus qu’un autre et chaque matériau a son rôle à jouer. Chacun peut tenir plusieurs rôles d’ailleurs et aucun ne devrait jamais être plus important que l’autre… Tenir à rendre vivace ce type d’utopies m’apparaît comme indispensable aujourd’hui.

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Presentazione del procedere

Estratto di conversazione tra Delphine Coindet e Lise Guehénneux

in novembre 2012

Dopo una residenza a Villa Medici a Roma Delphine Coindet torna alla sua ricerca, il suo progetto Divisione dei Poteri e sul Podio Medici, una scultura praticabile che determina una sorta di percorso con incontri, come quelli con lo scrittore libertario NP del quale utilizza l'alfabeto anarchico lungo un calendario di poemi acrostici. E' qui che si stabilisce una filiazione che comincia con le avanguardie di inizio 20° secolo fino a quelle degli anni '70, nello specifico con il lavoro di GdC.

LG

Il tuo progetto Perimetro Esteso nato da Divisione dei Poteri e dal Podio Medicis, esposto alla galleria alla galleria … e all'Università di Rennes 2, sembra incarnare esattamente oggetti pertinenti alla sfera dell'utopia, della politica. Come vedi il tuo lavoro oggi?

DC

La parte del testo, poetica, letteraria oggi è più presente. Ma, sin in principio, il mio lavoro è comunque legato ad un'esperienza di ordine semiologico. La relazione fra forma, testo, immagine, immaginario, è sempre stata importante per me, esiste un legame costante fra l'oggetto rappresentato , l'oggetto che viene nominato e l'oggetto che si ascolta, l'oggetto veduto. Ma, più in generale, il mio approccio è diventato più complesso perché quanto è visibile non è più solo il disegno e poi la sua realizzazione, ma anche quanto accade fra I due.

LG

Cioè?

DC

Oggi lavoro a partire da un vocabolario che è già presente , per svilupparlo. Vi è anche una logica dello studio, dell'atelier tradizionale che sta emergendo ultimamente. Questo fa sì che io mi senta più libera nel mio rapporto con gli oggetti, con le cose, un rapporto più immediato. Spontaneo, quando non accidentale. Gli oggetti che disegnavo e che costruivo, ora li colleziono direttamente. E spesso non sono solo oggetti ma anche persone e incontri che fungono da come da nutrimento al lavoro. E' come se le forme che si definiscono all'inizio finisser per costituire una vasta struttura sulla quale vengono ad agglomerarsi delle circostanze, delle situazioni, delle storie... Come con quest'opera piuttosto emblematica intitolata Cosmos del 2009 che è una struttura in legno sulla quale sono posati dei remi e delle palle da bowling. In effetti c'è sempre la definzione di una cornice, all'interno della quale è possibile che tutto accada. Quindi, la stessa definizione di cornice fa anche sì che un certo tipo di cose, di oggetti, verificheranno un evento che si produrrà, non si può sapere in anticipo cosa esattamente, come fosse la coltura di uno scienziato sotto osservazione su una piastrina al microscopio. Io estrapolo sì, ma per analogie. Alla fine, quello che diventa col tempo più complesso è una metodologia che si basa più sull'osservazione e forse meno sulla produzione.

LG

Questo incontro con un poeta libertario da cosa ha origine, da quello che vivi?

DC

Esiste un collegamento fra le cose perché quando mi trasferii a Losanna nel 2006 oltre all'atelier c'ear anche il centro d'arte Circuit, che è diventato un'estensione del mio operare artistico. Era come lavorare in veste di curatore, quindi significò incontrare all'improvviso delle problematiche legate a quelle della comunità artistica, e a come un'opera d'arte che dipende sempre dal contesto che la circonda esiste in rapporto ad altre opere, che si costruiscono attorno ad essa. Per me, il collocarsi nel contesto di una comunità artistica è sempre stata una questione fondamentale, benché non l'avessi ancora mai sperimentata in concreto, come accadde con Circuit (Sweet and Extra Dry, 2007, Scintille, 2009, Tempodrome, 2010…). Una comunità di artisti è un microcosmo della vita sociale naturalmente , ma da quella situazione ho potuto riflettere in maniera diversa a come essere coinvolti, come organizzarsi, senza però necessariamente replicare il modello della società in cui si vive. Va poi aggiunto in effetti che esiste in Svizzera una cultura molto viva di gruppi di libertari e anarchici, che ha fatto sì che potessi avvicinare diversi attori di questo ambiente, come l'artista Balthazar Lovay, grazie al quale ho potuto incontrare Narcisse Praz. Decisi allora di intervistare quest'ultimo di persona, con il gruppo di studenti di Rennes 2, in merito alla fenomenologia anarchica. La mostra Perimetro esteso divenne l'occasione di rendere visibile questi eventi, apparentemente esterni al lavoro, ma che in realtà finirono per esserne alla base, in maniera intrinseca.

LG

Le sculture che ne derivarono ne risentirono, furono più cariche?

DC

Vuoi dire sotto l'effetto di stupefacenti?!!! E' possibile... No, sul serio, devo dire che negli anni '90 avevo una visione piuttosto semplicistica di come si opera artisticamente, cioè attraverso il disegno e la produzione. Dopo un po' ti accorgi che non è così. Se si produce è perché innazitutto bisogna trovare i mezzi per produrre, il che implica vivere in un certo modo, e far fronte a delle problematiche di tipo pratico che sono maggiori quando si tratta di scultura rispetto ad altre tecniche: nel caso della scultura sei legato al contesto e a delle condizioni economiche. Sei in altri termini obbligato a chiederti ragione dell'esistenza stessa del tuo lavoro. E allora, se resto ancorata alla dinamica disegnare/produrre non funziona, perché la realtà è più complessa, e finirebbe nella frustrazione. Per questo non voglio disegnare/produrre, né per forza produrre e vivere, si tratta in realtà di disegnare la propria vita, inventarne la storia, scriverne la sceneggiatura. Costruire a tutti i livelli, e le sculture devono dar conto di tutto questo.

In questo caso ad esempio si è trattato di un intervento agli studenti sul colore. Il colore è centrale nel moi lavoro, costruire col colore, con la sensazione del colore, con la profondità del campo d'azione e dello spazio ma anche del disagio visivo che questo implica. Per tornare alla questione di come intendere il coinvolgimento nell'arte volli anche mostrare a questi studenti un video su Max Bill (Max Bill, Uno sguardo assoluto, di Erich Schmidt) in cui ti avvedi che non c'è differenza fra quello che dice e quello che è. E' stato professore e direttore di una scuola d'arte. E poi che arte: un'arte concreta tenuta a cambiare il mondo perché legata alla storia della Bauhaus... Ecco quello che dice la storia della sua opera: non c'è distacco fra quello che lui è, quello che vive e quello che produce, tutto è connesso e nessun gesto è gratuito. Ecco qual è la questione. Le domande che ti poni, che sembrano appartenere all'ordine della retina, si rivelano poi essere congiunte a quelle di ordine politico, economico, perché al loro interno devi trovare il modo di fare poi delle cose, e dunque di fare delle scelte che ti ascrivono nel mondo in una determinata maniera. Per tornare al colore, esiste tutto un corollario immaginifico che dà conto di una situazione politica, perché le nostre percezioni colorate e i nostri gusti sono praticamente quasi sempre fondati su questiono economico-sociali. Quello che è interessante è sciogliere questa trama per disfare abitudini e pregiudizi. Oggi forse si può parlare di una forma di « anarchismo » presente nelle mie ultime costruzioni, in cui tento di porre gli oggetti in rapporto fra loro senza a priori e senza gerarchie: un materiale non ha più valore di un altro e ogni materiale ha un ruolo che può interpretare, anzi, ciascuno può interpretarne più d'uno e nessuno dovrebbe mai avere più importanza di un altro... Riuscire a rendere vive questo genere di utopie mi sembra oggi essere un fattore indispensabile.

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SCINTILLE

L'artiste pose le regard, le designer agite la masse.

Champ contre champ. Le signe s'inscrit en peinture et la sculpture s'érige en signe. La lumière est franche et en toute logique, dans ce cadre précis, des événements surviennent aussi accidentellement. On les laisse se produire. Effervescence, excitation, échauffement de l'air ambiant et dilatation des données. Sans oublier, comme le laisse présager le “Pinocchio“ haut perché, de tout reprendre point par point constamment. A tout moment. Vigilance Impressionnisme, Futurisme,... Fragilisme,...

Et encore une paire de moustaches pour la distance qu'elle impose! Il faut croire que cet attribut capillaire devient une tradition soigneusement entretenue à Circuit.* Citons Asger Jorn qui ôta celles de la Joconde à son heure : "...nous sommes des étincelles qui doivent brûler le plus clairement possible..." Scintille! La paroi de la caverne et l'ombre projetée. Quoi d'autre? Des reliefs aux textures minérales sont placés au centre des murs. Pour Vincent Beaurin la grotte est un motif récurrent et emblématique, elle prend souvent la forme d'une boule qui brille. L'oeil dans sa cavité, évidemment. Aussi des ectoplasmes errent sur des sellettes. Observant fixement tout autour une chorégraphie élémentaire de signes et de couleurs : Une "fresque", d'Alessandro Mendini, accroche notre regard à l'indispensable paroi. Indubitablement, une histoire se joue là. Abstractions, attractions, index, sont les axes d'orientation. Et pourquoi pas l'imprégnation du réel par l'infime et le grandiose? Car il y a bien une question d'échelle inhérente à tout cela. Pas seulement l'échelle du visible, mais aussi celle des moyens qui permettent à l'artiste comme au designer d'exercer leur pratique... À la limite. Afin que les rapports entre les choses soient exprimés, expérimentés et animés vers leur puissance maximale. Afin que le potentiel libératoire des signes entre en action. Incantations, exhortations.

Ne nous appesantissons pas.

Scintille.

D. C. pour Circuit Lausanne 2009.

*Voir l'accrochage des portraits de moustachus, réalisée à l'occasion de l'exposition Circuit au Musée Jenich de Vevey en 2005.

TEMPODROME

En 2002 Berdaguer & Péjus réalisent une exposition intitulée Traumathèque à la BF15 à Lyon. Elle se présentait sous la forme d’un dispositif assez sommaire : une enseigne, un fauteuil bulle suspendu (réplique de la célèbre création d’Eero Aarnio), un lecteur enregistreur VHS et un écran de projection. Pénétrant dans ce salon laboratoire, chaque spectateur était invité à se munir d’un casque audio où la voix d’un hypnotiseur leguidait dans l’exécution d’un protocole très précis : enclencher la cassette VHS dans le lecteur et procéder à la remémoration d’un traumatisme en restant assis en suspension devant l’écran invariablement neigeux... Le transfert du trauma restait bien entendu d’ordre symbolique, quand la trace de l’expérience elle, se voyait soigneusement consignée par le patient/spectateur lui-même, avant d’être disposée sur une étagère prévue à cet effet. Cette archive des traumas, présentée aujourd’hui à Circuit sous la forme de photographies imprimées à l’échelle 1/1, constitue le préambule de Tempodrome.

(Démons)

Si l’on considère un des constats les plus détonnants du siècle passé : «c’est le spectateur qui fait l’oeuvre» devenu aujourd’hui, l’un des poncifs préféré de l’art contemporain; on peut considérer que cette Traumathèque procède, non sans une perfide ironie, à l’inversion dans les règles de cette approche complexe (bien que souvent dévoyée). S’inspirant du principe de la cure psychanalytique, ne serait-ce point ici, l’oeuvre qui permettrait au spectateur d’accéder au statut de sujet autonome, par le biais du processus «d’extraction» symbolique du mal qui le hante?...

«Sur l’écran noir de mes nuits blanches où je me fait du cinéma»*

Immersion, projection, inconscient, histoires... Que serait le cinéma sans l’invention de la psychanalyse?... Ou alors doit on se demander exactement l’inverse? Le dispositif «traumathétique», réduit, avec ses moyens frustres, l’expérience cinématographique en une synthèse tautologique et paradoxale : l’acteur est le spectateur qui est le réalisateur qui est le film... Cependant, ce qui nous intéresse essentiellement là, c’est l’étrange communauté qui se profile par l’intermédiaire de cette entité de bandes magnétiques compilées. Communauté négative s’il en est, constituée de parts d’ombres et de blessures intimes. Communauté sans limite aucune (quoi de plus universellement partagé que l’épreuve traumatique?) et potentiellement démultipliable encore à l’infini par l’inoculation de la technologie.

(Inversion)

A l’extrême opposé, figure solitaire et obstinée, tel un Sisyphe qui tournerait en rond plutôt que de pousser son rocher, un danseur marche dans un grand mandala fait de grains de sables noirs et blancs. Un mythe qui se réinvente à rebours, par le truchement du montage vidéo inversé, redonnant son ordre initial de teintes contrastées, au chaos uniformément gris des grains de matière mélangée.

(Recommencements)

De l’individu à la collectivité, se révèleraient ainsi métaphoriquement bien des liens de cause à effet et une manière de penser le monde selon certaines hypothèses :

Pas de temps ni d’espace partagé sans reconnaissance de l’expérience individuelle, fut-elle même funeste. Pas d’avancée notable sans retour en arrière constant. Pas d’ordre probable et pas de vie possible sans abandonner une part de contrôle à l’aléatoire et au chaos. Si toute nouvelle technologie impose sa date de péremption en corrompant les plus nantis, elle sert aussi de support de propagation et de facteur de récurrence exponentielle aux plus vieilles histoires, qui elles sont éternelles, fondatrices et inaliénables.

Agités par ces questions, CBMP ont imaginé l’exposition Tempodrome comme un lieu emblématique. Ni linéaire ni circulaire et sans aucune délimitation, le Tempodrome est un concept en forme de déflagration. Où les particules se mélangent et se dispersent à l’infini, à la lenteur de la lumière et à la vitesse de l’escargot. Ici comme ailleurs, hier comme aujourd’hui, l’important n’est pas la ligne d’arrivée mais le chemin parcouru... Les Parques s’occupent du reste.

* D’après, Le Cinéma, 1962, écrit et interprété par Claude Nougaro.

Berdaguer & Pejus sont un couple d’artistes français basé à Marseille tout particulièrement inspirés par l’histoire du design et de l’architecture radicale. Troubles physiologiques, psychologiques, altération des sens, phénomènes paranormaux, président à la réalisation de leurs objets et environnements où le spectateur joue souvent un rôle crucial. Passionnés par la théorie comme par la pratique, ils ont conçu l’exposition «Tempodrome» à Circuit, (suite de Time-Store présentée à la galerie de l’école des beaux-arts de Tours en juillet dernier), comme un écho explicite au dernier ouvrage de Ronald Creagh et avec la complicité de celui-ci.

D. C. pour Circuit Lausanne 2010.

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UNE HEROINE DANS L'ABIME

Sur une performance de Anne Rochat 2013

“ Dans leur quête d’une plus grande domination, les empires détruisent plusieurs cultures puis ils s’écroulent d’eux même. Aucun pays ni aucune coalition de nations ne peut prospérer à long terme en exploitant les autres. (John Perkins, extrait des “confessions d’un assassin financier”.)

Soit une bâche ronde de 7 mètres de diamètre tendue à 4 mètres du sol.

La toile est ornée d’une composition aléatoire, à l’aspect d’une peinture abstraite et matièriste bien que, en réalité, les matèriaux en question ne sont autres que des images d’eux même (or, eau, céréales, métaux…) agencés sur l’écran d’un ordinateur avant d’être imprimés en un immense motif. S’engage une lente chorégraphie orchestrée par le son amplifié de l’action qui se produit, directement : une femme rampe sur la toile tout en l’arrachant opiniâtrement avec ses dents. La surface lisse et en tension, se déchire peu à peu sous les coups de machoires de la performeuse et incessamment, c’est son équilibre même qui s’en trouvera d’autant compromis.

Sûrement, entre le minimalisme du protocole performatif et le baroque du decorum ainsi déployé on aura déjà entrevue la métaphore de la relation de l’être humain à son environnement. L’être humain ici motivé par une pulsion dévorante qui l’entraine jusqu’au point de rupture fatal…

Il faut dire qu’à l’instar des pères et mères dont elle est l’héritière, Anne Rochat s’inquiète d’états limites jusqu’à risquer sa peau. Nous souvenir qu’à son origine, l’art de la performance choisit d’opposer la vérité de l’acte à la croyance en l’oeuvre d’art comme bien matériel. Vérité contre facticité. Vie contre mort. Echanges d’absolus.

Rien d’étonnant alors si Anne sort ses dents pour signifier: “Une action vitale”

C’est une rage puissante qui la pousse à déchiqueter littéralement le monde. Car son jeu met en exergue la spirale destructrice qu’engendre l’économie d’une pulsion prédatrice, tout autant que le pouvoir d’attraction qu’elle exerce. En effet, au delà de la simple démonstration, qui nous exclueraient trop, comme vulgaires spectateurs du processus actant, elle instaure un dispositif quasi liturgique qui nous rassemble finalement tous ici présents, autour de sa ronde à un seul figurant. Alors, le spectacle du corps en mouvement évoque la transe d’une prétresse aux prophéties funeste qui à terme, s’offrirait elle-même en sacrifice. Fascination et croyances, cultes et ensorcellement, des analogies qui circonscrivent on ne peut mieux le champ d’action. Quelle témérité de la part de l’artiste, d’incarner ainsi, dans notre beau pays poli et lustré, la figure d’une possédée par son avidité et de rétablir ainsi par son acte, la triste vérité d’une si simple articulation de cause à effet! Une articulation qu’on aimerait bien pourtant, ne pas devoir considérer, tellement la force de notre endoctrinement, nous conditionne à ignorer les conséquences de notre mode de vie sur le reste du monde.

Se loger, manger, s’habiller, se déplacer, chaque motif de notre quotidien, toujours plus automatisé, a pourtant un coût humain dont il faudra bientôt nous acquitter. Ainsi la pièce de Anne Rochat relève tout aussi bien d’une forme d’exaspération sublimée par la morsure à vif, au regard de nos gestuels consensuels qui dissimulent en fait la gravité de nos dettes.

Mais enfin pourquoi cherchons nous toujours, en dépit de tout bon sens, à sauver les apparences? La réalité n’est elle pas bien plus crue, quand nous aimerions la voir si joliemment façonnée? La cruauté est pourtant toujours une donnée du vivant et c’est à elle que nous devons continuer de nous confronter. Cruauté de nos vies séparées, qui nous laissent incapables de concevoir l’inter-dépendance fondamentale de toute chose en ce monde. Et pour sortir de notre transe, possédés dépossédés que nous sommes, il faudra renoncer à encore beaucoup de mensonges…

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LE SOLEIL BRILLE POUR TOUT LE MONDE.

" ... la couronne il n'attend plus qu'on la donne, d'avance Magritte se l'est mise sur la tête et les épines il vous les fiche au cul".

Louis Scutenaire.

Ceci pour commencer et donner une idée de la teneur idéologique au delà du strict projet esthétique. Soit un extrait de "LES PIEDS DANS LE PLAT" écrit à l'intention de certains esprits étroits par Louis Scutenaire en 1948,

à l'occasion de la présentation des peintures de la "période Vache" de Magritte. Quand on considère, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, le spectateur tel un roi que l'on doit flatter pour se faire apprécier de lui; il est bon de se rappeler que l'on peut toujours envisager les choses autrement.

Quand Magritte arrive à Paris avec sa série de peinture "vache", une petite trentaine d'huiles et de gouaches présentées à la galerie du Faubourg en 1948, autant dire que l'acceuil est plutôt glacial. Et pour cause. Le peintre s'est probablement délecté à fomenter cette bonne blague à l'attention d'une scène parisienne assez peu disposée à l'égard du peintre Belge, pourtant déjà amplement considéré à l'époque*…

Si il reste parfois dans ces peintures, quelques traces de l'environnement surréaliste, qui contribua à la notoriété de son oeuvre, celui-ci est évoqué avec une telle volonté de saccage, une verve visuelle si grinçante et iconoclaste, que bien entendu plus personne ne s'y retrouve.

Le terme "Vache" désignant la période qui nous intéresse doit être comprise initialement comme une parodie du terme "Fauve". Les teintes vives des toiles, associées de manière criardes attestent de l'analogie avec le courant avéré. D'autre part, si l'on prend les mots pour pour ce qu'ils ne sont jamais vraiment c'est à dire, des pensées, des rêves ou des images, alors la vache est un merveilleux contenant. Elle peut être tendre et méchante, chaleureuse et moqueuse. Humaine et animale.

1- La trahison des images.

En 1948 la guerre est finie et le Stropiat fume la pipe par tous les trous.

Bon sang comme le temps passe : 12h05 déjà!

Le galet poli par la mer est le sexe du modèle

qui se lèche sur fond de motif à carreaux…

Elle attend le prince charmant à la figure royale et turgescente.

Sonnez grelots!

Tant que les profondeurs du plaisir ne nous donnent pas des démangeaisons. Flûte! L'étoupillon et rond et rond!

La marche triomphale des pieds vert et cotillons,

L'ellipse qui perd la main et son canon qui ment.

Quid du contenu pictural à la morve qui pend,

quand le mal de mer ressemble à du jambon?

Pour Le psychologue, pas de magie noire,

la guérison vaut peut-être mieux que le crime du Pape…Etc…

2 - Barbarie et Ironie.

Juste avant la période que l'on appelle "Vache" il y a eu celle "Renoir", ultime démonstration du "surréalisme en plein soleil", tel que le peintre l'a revendiqué. L'inconscient, le rêve et le mystère devant être exposés à la netteté de la lumière. Ainsi, durant la deuxième moitié de la guerre la plus meurtrière de tous les temps, Magritte s'adonne à la représentation de femmes opulentes aux longs cheveux blonds, à l'aide d'une touche néo-impressionniste et d'une gamme chromatique aux tons chauds.

L'artiste bravant la tragédie par la passion de l'ironie nous convie à l'exploration des tréfonds tout en tendresse, érotisme et poésie.

3 - Médiocrité, compassion et vérité.

Quand les temps sont durs au point que chacun se referme dans l'étreinte de la peur ou de la misère, toute vérité est d'autant plus difficile à entendre.

Ainsi, trop de mauvaises habitudes accumulées on finit par ruiner le monde, quand Magritte lui, décide de se défaire, au moins une fois, de ses bonnes manières. Régression vraiment? Canular? Provocation certainement à l'égard d'un public parisien largement dépassé par le cours des événements esthétiques successifs… Le voilà qui fait baver, jurer, éructer ses motifs tout en déjouant l'attente du spectateur croissant dans le conformisme ambiant. Derrière cette forme de débauche joyeuse se cache pourtant la discipline de l'homme qui affirme sa position ici, dans un monde en plein bouleversement. Ce qui compte est d'admettre le mystère, toujours, et la révolte qui peut en découler. Si le Bon Dieu a effectivement quitté les lieux, pourquoi ne pas nous reconnaître dans ces caricatures providentielles et les fragments d'humanité qu'elles dispensent si vindicativement?

Et Scutenaire l'ami fidèle au couteau entre les dents, d'ajouter encore :

"Pauvres diables, mes juges, achetez des miroirs, cent miroirs et mille."

4 - Les tics du peintre.

S'expriment donc ici en toute liberté : coulures, hachures, taches et compagnie… Sans être jamais pour autant confinées dans le plaisir égoïste

que cette expérience pourrait procurer à l'artiste. Car ces gestes appropriés (pour la touche fauve ou impressionniste par exemple) sont moins le fruit d'une individualité complaisante, que les signes de reconnaissances d'une histoire de la peinture moderne déjà identifiés, si ce n'est presque assimilée. Magritte complexifie de la sorte son langage élaboré, par sa propre mise en abîme satirique. D'où une forme de réflexivité à la puissance parodique qui use des typologies formelles de l'histoire comme d'un fond commun, tout en annonçant involontairement la couleur : Bad Painting, Pop Art, Post-modernité… Extra-lucidité à vitesse grand V.

5 - La grâce zélée de René.

Ou l'art de vivre la rupture tout en restant constant.

Après et entre ces courtes périodes "Renoir" et "Vache" qui s'échelonnent de 1943 à 1944 et de 1947 à 1948, Magritte poursuit son ouvrage avec la touche qu'on lui connaît tous pour l'avoir vu au moins en reproduction. Tant et tant.

Constance absolue, de jeux de mots en jeux de gestes en jeux d'images, comme fil conducteur de la pensée sensible qui veut transmettre le sens caché des choses. Un langage universel codé par l'instinct rétinien et le plaisir des sens offert à l'appréciation de tous. Nous avons sous les yeux le monde et ses transformations. Un monde où l'être humain n'est plus vraiment perçu comme possesseur de tous ces moyens, mais relié aléatoirement et sans prédominance à ses autres sujets de prédilections, par le dedans de l'incommensurable inconscient. Le chaos des sens et l'étrangeté de la psyché retrouvés, ôtent tout pouvoir de domination mais propose néanmoins, un nouvel ordre déconcertant. Ainsi tout se défait constamment en délicieuses fractions s'interpénétrant : le minéral dans l'organique dans l'artefact dans la mer dans la montagne, dans le mot, dans l'oiseau… Et dans le flux de la peinture d'images, incessamment et réciproquement.

6 - Conclusion

Pour avoir ouvert en grand la porte des songes, l'esprit surréaliste, revendicatif, anticonformiste, communiste (comme l'était Magritte) voir franchement libertaire, s'est vu très rapidement instrumentalisé par la logique profiteuse du système que l'on connaît. A l'émancipation par l'image s'est substitué le culte et l'exploitation de toute une imagerie. Pourtant, nous avions appris quelque chose de précieux : l'obéissance aveugle aux convenances commence par le renoncement au désir, pour finir dans la désolation. Réjouissons nous donc que notre Vache, soit encore assez Chienne, pour nous montrer ses dents!

Et pour toute moralité "Pom'po pom'po pom po pom pon."

*Extrait des Pieds dans le plat, Louis Scutenaire 1948 :

… " Donc Mag me prend à part (point par les fesses, ne vous abusez toute de même pas, c'est pas parce qu'on crachotte de même qu'on fout pareil) et me lâche :

– L'affaire est dans l'sac. On descend à Parure, on va leur montrer le travail en palc, une bonne petite placarde. Moi je ferais l'effort, toi tu bonniras."