Attachements

Galerie Laurent Godin II

36bis rue Eugène Oudiné

du 23 Février au 22 avril 2017

Texte de Julie Portier

Photos Yann Bohac

Le titre pourrait désigner le principe de fixation par lequel tout peut tenir ensemble – et déjà la raison technique et la fonction allégorique se suffiraient-elles d’un unique énoncé. Selon des règles provisoires, par des équilibres contingents, s’appuyant sur des cales molles, se fiant à son élasticité, ça tient ; malgré son empirisme, malgré la précipitation, malgré l’absence de virilité, malgré tout, ça tient. Ça résiste, même, aux vents dominants, à la gravité, au défaitisme. Ça résiste aussi au conseil bienveillant asséné par une société néolibérale qui doit son argument philosophique à un coaching en développement personnel, vaguement orientaliste, soit la tyrannie du « détachement ».

La scène suivante est un flashback, ou quelque chose de plus violent, au moins dans les mots, une défragmentation du disque – peut-être à la hache. Comment s’arrêter sur ce qui est, alors que jamais le travail ne cesse ? Comment relire le passé alors que le présent brûle, et que le caractère raisonné des catalogues est assommant ? Le décor se présente ainsi : une architecture d’urgence entourée de flammes.

Mais cette chimère d’insurrection dans l’espace de la Galerie Laurent Godin (II), plutôt qu’un assaut grillagé, y installe une grille de lecture. Par des moyens réduits à l’extrême, cette ossature souligne des arêtes saillantes ; elle dégage des lignes claires agrégées de nébuleuses qui bientôt dessinent un cosmos rustique, une matrice de presque rien qui embrasse tout. Si c’était une structure littéraire, elle soutiendrait le projet d’une autobiographie dont la forme serait à même de rendre compte des événements autant que de la texture des années , qui intégrerait l’extérieur et le collectif au je intime, de sorte que les êtres et les choses, la politique et la météo, la raison d’être et de faire ne composeraient qu’un seul récit. Plutôt qu’une barricade, le geste, toujours précis, dresserait là une structure synthétique et défensive contre la simplification ou, sous un jour plus festif, un chapiteau en l’honneur de la complexité, abritant les grands écarts de style et de méthode qui rendent le tout « autoportant ».

On a déjà vu les grandes sculptures usinées cohabiter avec les assemblages spontanés faits de carton, de tulle et d’os. Mais ici leur présence – qui use de diverses tactiques d’incarnation, personnification (du parallélépipède), métonymie, ou carrément relique – se doublerait par la figuration de leur propre rôle dans un scénario aussi rétrospectif qu’ouvert à toutes les hypothèses de recomposition du sens et des morceaux. Il suppose toutefois de reconnaître le lien de conséquence et de complémentarité qui lie le concept à l’expression, les surfaces lisses aux carapaces rugueuses, et la pensée aux affects. Car tout est lié et l’on finit par s’attacher à tout – même aux animaux stupides et aux idéaux épuisés – tandis que l’artiste ne lâche rien.

Cette humeur est à demi feinte dans ces dramatiques simulacres de flammes, évoquant la pompe d’un décor baroque autant que les dernières survivances des fêtes païennes. Cette ardeur stylisée pourrait se lire comme une confidence à l’endroit du travail, dont on saisit la métaphore en même temps que l’on passe dans sa réalité matérielle, et qui vaut de déployer tant d’énergie en ironisant déjà sur le risque d’un retournement de situation. Depuis longtemps, la sculpture pare à l’imprévu en avançant une stratégie de l’ambivalence (et une certaine désinvolture) qui se révèle souvent avec sa valeur d’usage : quelque part, sur la flamme, un livre est posé à califourchon, comme si la lecture interrompue restait sur le qui-vive, à l’image du repos des cow-boys.